Obésité : au-delà du poids, la composition du tissu adipeux sous surveillance

Et si les facteurs de risque liés à l’obésité dépendaient de la composition de la masse grasse, et non de sa quantité ? Dans une étude publiée dans Scientific Reports, l’équipe Inserm de Laurent Lagrost (UMR1231 “Lipides, nutrition, cancer”, Université de Bourgogne-Franche-Comté, Dijon) éclaire la question sous un jour nouveau, en tous cas chez l’animal, puisqu’elle vient de montrer que chez la souris obèse, la composition du tissu adipeux est le véritable indicateur du risque de complications métaboliques et cardiovasculaires, plus que sa quantité.
L’obésité est un problème de santé publique majeur : en France, la moitié de la population de plus de 30 ans est en surpoids, et l’obésité touche plus de 15% de cette population. Or, certaines études observationnelles ont montré que les personnes obèses ne sont pas toutes égales devant les risques de complication métaboliques et cardiovasculaires : certains présentent un métabolisme très altéré, alors que d’autres se portent plutôt bien. Pourquoi ? Jusqu’à présent, mystère…
L’équipe de Laurent Lagrost a donc voulu comprendre ce phénomène en étudiant trois types de souris : des souris recevant un régime alimentaire équilibré, des souris disposant d’un régime gras et sucré, et enfin des souris disposant d’un régime gras et sucré, mais enrichi en extraits de plantes riche en polyphénols (les antioxydants polyphénoliques, dont il avait précédemment été observé qu’ils pouvaient améliorer l’espérance de vie des rongeurs obèses).
Alors qu’ont découvert les chercheurs ? Tout d’abord, et sans grande surprise, que les souris à qui on proposait un régime gras et sucré voyaient leur métabolisme s’altérer en présentant notamment des signes d’hyperglycémie et d’hypercholestérolémie, ainsi qu’un important stress oxydatif des cellules du tissu adipeux. In fine ? L’accumulation de composés potentiellement toxiques comme le cholestérol et ses dérivés. En outre, les auteurs ont constaté une infiltration importante de ce tissu adipeux par des cellules immunitaires pro-inflammatoires. Au final, ces souris ont vécu moins longtemps que des souris minces, avec une espérance de vie réduite de plus d’un tiers.
Plus surprenant, les souris bénéficiant d’un régime gras et sucré mais à qui on a administré des antioxydants polyphénoliques ont certes développé une masse grasse similaire aux autres souris obèses, mais leurs anomalies métaboliques ont disparu et leur espérance de vie « en bonne santé » est devenue équivalente à celle des animaux non obèses.
Le concept d’obésité métaboliquement saine démontré expérimentalement ?
C’est la première fois qu’une équipe parvient à augmenter l’espérance de vie d’animaux obèses en modifiant uniquement la composition du tissu adipeux, sans perte de poids. Les chercheurs ont ainsi expérimentalement démontré que la composition du tissu adipeux contribue, plus que sa quantité, à expliquer la pathogénicité de l’obésité chez la souris. « Il existerait donc bien une obésité à faible risque métabolique. C’est une avancée conceptuelle significative » indique Laurent Lagrost.
Si ces résultats se confirmaient chez l’homme, ils pourraient avoir plusieurs retombées. D’une part, la mise en place d’un régime alimentaire riche en antioxydants (et équilibré bien sûr) pourrait améliorer la composition du tissu adipeux en limitant les phénomènes d’oxydation et d’infiltrations de cellules immuno-inflammatoires – donc diminuer les risques liés à l’obésité. D’autre part, si pour une même masse de tissu adipeux, sa composition peut varier (de la plus protectrice à la plus dommageable), il conviendrait de prendre en compte le statut immuno-inflammatoire du tissu adipeux (donc sa composition) et ne plus se focaliser uniquement sur la masse grasse donc le poids corporel des personnes obèses pour leur proposer une stratégie thérapeutique.
Il existerait ainsi une obésité à faible risque métabolique et une obésité pathogène, donc une évolution nécessaire des conseils hygiéno-diététiques à préconiser, individualisés pour chaque patient. Mais peut-on envisager actuellement de conseiller à une personne obèse de « ne pas (seulement) perdre du poids » ? Et Laurent Lagrost d’ajouter : « Si nos travaux remettent en cause, d’une certaine façon, les idées reçues, ils ne doivent pas faire oublier que l’obésité nuit à la santé et qu’en aucun cas la population devraient être détournée de l’objectif primaire qui consiste à éviter l’accumulation anormale ou excessive de graisse ».
Juliette Brey-Xambeu
Cette étude a été menée par l’Inserm et l’Université de Bourgogne, dans le cadre d’un projet collaboratif avec les Laboratoires de Recherches Appliquées SPIRAL soutenu par le Fond Unique Interministériel, le LabEx LipSTIC et le pôle de compétitivité Vitagora.
Sources :
Healthy adiposity and extended lifespan in obese mice fed a diet supplemented with polyphenol-rich plant extrac
Scientific report, 9, Article number: 9134 (2019 June24)
https://doi.org/10.1038/s41598-019-45600-6
Communiqué de presse de l’INSERM : https://presse.inserm.fr/les-risques-de-complication-de-lobesite-dependraient-avant-tout-de-la-composition-du-tissu-adipeux/37387/
Contact chercheur : Laurent Lagrost
Laboratoire UMR1231 Inserm / université de Bourgogne
Tel : 0637957353 / laurent.lagrost@inserm.fr
Crédits photo © INSERM UMR1231